Page:Bréal - Mélanges de mythologie et de linguistique, 1877.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


aucune modification extérieure. Θυμόζ et πούζ ; en grec, animus et pes en latin, sont des substantifs mais μεγάθυμοζ et magnanimus, ώκύπουζ et alipes, sont des adjectifs. L’idée de possession, qui change tout à fait le caractère de ces mots, n’est pas exprimée. Le sanscrit abonde en composés de ce genre seulement, grâce à la liberté dont jouit l’accentuation indienne, il les distingue par le déplacement de l’accent tonique. Ainsi juva-gâni-s signifierait « jeune femme » mais jûva-gâni-s désigne « celui qui a une jeune épouse ». D’autres rapports, non moins nécessaires pour l’intelligence, sont souvent sous-entendus. Est-il besoin de rappeler les composés homériques, aussi clairs dans leur ensemble que difficiles à expliquer en détail ? Quand Homère appelle Sparte « célèbre par ses belles femmes » καίλιγύναικα Σπάτην, il emploie une expression d’une parfaite netteté, quoique nous devions suppléer, ; pour la comprendre, toutes les idées intermédiaires. On sait que les poëtes grecs ont souvent tiré un parti admirable de cette faculté de composition, pour enfermer en un seul mot deux idées faisant contraste, et frappant l’esprit avec d’autant plus de force qu’il est obligé de trouver lui-même le lien qui les assemble. Eschyle, parlant des époux des Danaïdes qui furent immolés par leurs femmes, se sert de l’expression : θηλυκτόνω "Αρει δαμέντεζ. Réunissant en un seul mot l’idée du mariage d’Hélène et celle des guerres qui l’ont suivi, Eschyle l’appelle δορίγαρβρον Έλέναν. En inventant de telles expressions, les écrivains grecs ne faisaient que développer un procédé dont la