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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


catégorie de l’actif et du passif, qui a une importance capitale aux yeux du logicien, n’ait reçu que très-tard et d’une façon fort incomplète son expression dans nos idiomes. Les noms, si l’on ne considère que leur forme, sont restés étrangers à cette distinction. Le mot τροφόζ désigne tantôt celui qui nourrit, tantôt le nourrisson. Que n’a-t-on pas écrit sur le double sens de λόγοζ, qui marque tout ensemble la raison qui conçoit et la pensée qui est conçue, l’intelligence en puissance et en acte ? Mais la réunion de ces deux sens en un seul mot tient à la nature de notre système grammatical, et elle n’est pas plus extraordinaire que pour le mot σκόποζ, par exemple, qui désigne à la fois le but et celui qui observe, l’espion.

On aperçoit encore par endroits l’effort qu’ont tenté le grec et le sanscrit pour remédier à cette sorte d’équivoque. Ils ont eu recours à l’accent tonique pour distinguer la double signification d’un même mot φορόζ, en grec, quand il désigne celui qui porte, a l’accent sur la dernière ; mais φόροζ, ce qui est porté, le tribut, accentue la syllabe radicale. Le sanscrit nous présente des faits analogues. Mais ce sont là des moyens employés après coup et sans beaucoup de suite, pour séparer ce que la langue, dans son plan primitif, avait confondu. Les exemples que jusqu’ici nous avons passés en revue sont tous de même nature. Un mot ou une racine sont adjoints à un suffixe, et notre esprit est invité à deviner le rapport que marque cette juxtaposition. 11 n’est pas douteux qu’il ne faille voir dans ce procédé une des causes