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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


arium. Non-seulement ce suffixe a passé en français, grâce à un grand nombre de mots latins qui en étaient revêtus, mais il est encore actuellement vivant, c’est-à-dire qu’il a servi et qu’il sert encore tous les jours à former des dérivés nouveaux, qui sont le bien propre de notre idiome. C’est ainsi que des mots pomme, figue, amande, nous avons fait pommier, figuier, amandier. D’après ces noms nous pourrions croire que le sens du suffixe ier, c’est de marquer que le mot dérivé produit l’objet exprimé par le mot primitif. Mais, d’un autre côté, nous avons des noms comme encrier, huilier, herbier, colombier, où le suffixe ier marque, non point la production, mais le réceptacle. On dira peut-être que l’idée de contenance a conduit à celle d’origine, et que ces deux sens, en réalité, n’en forment qu’un. Mais dans laquelle de ces deux catégories rangerons-nous, par exemple, le mot prisonnier, où la syllabe ier marque, non pas l’agent qui produit, ni le lieu qui contient, mais au contraire l’objet qui est contenu ? D’un autre côté, si de prison nous avons fait prisonnier, c’est-à-dire l’homme enfermé en prison, de geôle notre langue a tiré, à l’aide du même suffixe, le mot geôlier, qui a un sens tout différent. Ce n’est pas tout le rapport de signification qui unit le mot chevalier à son primitif cheval n’est pas le même qui unit bouvier à bœuf, ni lévrier à lièvre. Il serait aisé de multiplier ces exemples ; mais ils suffisent pour montrer que notre esprit est obligé de suppléer à l’équivoque produite par un signe dont le sens est si changeant.