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LES IDÉES LATENTES DU LANGAGE.


sous silence, et qu’en réalité nous suppléons les rapports que nous croyons qu’il exprime. J’ajoute que c’est parce que le langage laisse une part énorme au sous-entendu, qu’il est capable de se prêter au progrès de la pensée humaine. Une langue qui représenterait exactement tout ce qui, à un moment donné, existe dans notre entendement, et qui accompagnerait d’une expression tous les mouvements de notre intelligence, loin de nous servir, deviendrait pour nous une gêne, car il faudrait qu’à chaque notion nouvelle la langue se modifiât, ou que les opérations de notre esprit restassent toujours semblables à elle-mêmes, pour ne pas briser le mécanisme du langage.

En terme de grammaire, on appelle ellipse l’omission d’un mot nécessaire au sens de la phrase. Mais ce n’est point de cette sorte d’ellipse que je me propose de vous entretenir celle dont je veux vous parler est d’une nature plus cachée. Elle a son siège dans le corps des mots, et on pourrait l’appeler ellipse intérieure, s’il ne valait pas mieux désigner cet ordre de phénomènes sous le nom plus général d’idées latentes du langage.

Commençons par un exemple très-simple, que nous emprunterons, pour plus de clarté, à la langue française. Tout le monde connait ce procédé grammatical qu’on appelle la dérivation, et qui consiste a tirer d’un mot, à l’aide d’un suffixe, un mot nouveau qui soit avec le premier dans un certain rapport de signification. L’une des syllabes dérivatives les plus usitées dans notre langue est le suffixe ier, qui répond au latin aris, are et arius,