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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

un pluriel comme omnes (pour homines) s’enrichir d’un neutre omnia et d’un singulier omnis : nous voyons un féminin felix (de fela, « mamelle ») produire un masculin et un neutre[1].

Il est intéressant de voir avec quelle ponctualité la règle, une fois admise, est obéie et appliquée. Le linguiste qui assiste à ce spectacle, et qui, connaissant les éléments mis en œuvre, voit les matériaux les plus disparates passer par la filière, ne peut s’empêcher d’en admirer le fonctionnement. On a improprement appelé ceci une contrainte (Systemzwang). Il n’y a point de contrainte : il n’y a qu’obéissance volontaire à la règle.

En voici quelques spécimens.

Nous sommes habitués à voir les verbes grecs prendre à l’imparfait et à l’aoriste l’augment syllabique ou temporel. Mais nous ne sommes pas préparés à voir l’augment modifier un adverbe ou un pronom. C’est pourtant ce qui se passe quand des mots composés comme ὀπισθοφύλαξ, « arrière-garde », αὐτόμολος, « déserteur », donnent naissance chez Xénophon à des imparfaits comme ὠπισθοφυλάκει et à des aoristes comme ηὐτομόλησε. Personne ne s’en étonne, sauf le philologue, qui y voit un exemple de la logique populaire. En grec moderne, où l’augment subsiste, on le place sans hésiter devant les préposi-

  1. Felicia arma. Felix omen.