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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

s’explique la faveur qu’a rencontrée le participe en utus : pendu, tendu, rompu[1]. Le mouvement est venu de quelques rares avant-coureurs qu’on aperçoit en bas-latin : pendutus, decernutum, incendutum. Eux-mêmes, ils sont un produit de l’imitation (latin solutus, statutus)[2]. Grâce à cette syllabe finale, le français a rétabli les lignes de sa conjugaison en désordre.

Au lieu de nous prenmes, nous faismes, qu’aurait dû donner le latin prendimus, facimus, on a dit nous pren-ons, nous fais-ons ; au lieu de vous prents, qu’aurait dû donner le latin prenditis, on a dit vous pren-ez. D’où viennent ces désinences plus pleines ? La seconde personne du pluriel l’indique suffisamment. Elles ont été empruntées à la première conjugaison[3].

Donnons encore un exemple tiré de la conjugaison grecque.

À la troisième personne du pluriel, les aoristes seconds des verbes comme τίθημι avaient une désinence fort courte : ἔθεν, ἔβαν, ἔσταν, ἔγαν, ἔφυν, etc. La langue homérique abonde en formes de ce genre. Mais on en voit l’inconvénient : ces troisièmes

  1. Les enfants, en disant j’ai prendu, se conforment aux modèles fournis par la langue. On a, depuis longtemps, reconnu en eux d’actifs auxiliaires de la régularité grammaticale. Au lieu de I came, I caught, on les entend dire en anglais I comed, I catched.
  2. Les verbes latins ayant leur parfait en ui, comme habui, tenui, ont été des premiers à prendre un participe en utus.
  3. Les seuls survivants qui n’aient pas été remaniés sont : vous dites (dicitis), vous faites (facitis).