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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

continuant dans le peuple, velle a donné en bas-latin volêre, d’où le français vouloir ; posse a donné potêre, d’où le français pouvoir. Les derniers restes ont donc été peu à peu absorbés.

Cependant, telle est la lenteur de ces évolutions, qu’aujourd’hui encore, dans toutes les langues romanes, il reste un témoin, unique à la vérité, de la conjugaison en μι. C’est le verbe être, qui, par ses anomalies, trahit son origine plus ancienne. Il est d’ailleurs fortement entamé. En espagnol on a somos, sois, son, comme si le latin était sumus, sutis, sunt. L’italien tire un gérondif essendo d’un infinitif déjà modernisé essere.

Ce qui s’est passé pour les verbes a eu lieu aussi pour les substantifs. Une déclinaison plus facile, plus claire, gagne du terrain sur les autres déclinaisons. Déjà dans les inscriptions de Delphes on trouve τεθνακότοις, ἀγώνοις, ἐν ἄνδροις τρίοις, ἐν τοῖς ὀκτὼ ἐτέοις, etc. C’est un commencement qui annonce ce qui se passera dans la suite pour cette troisième déclinaison, d’un maniement trop délicat. À l’imitation du datif ἀγώνοις est venu ensuite un nominatif ἄγωνον. C’est ainsi que se préparent les formes modernes comme ἄρχοντοι, γέροντοι. Déjà anciennement, à côté de φύλαξ, μὰρτυς, διάκτωρ, on trouve les nominatifs φύλακος, μάρτυρος, διάκτορος[1].

  1. Les faits sont les mêmes dans l’Inde. Voir Otto Franke, Die Sucht nach a-Stämmen im Pâli. (Annales de Bezzenberger, XXII, p. 202.)