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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

l’ancienne formation est, en quelque sorte, arrêtée en sa force d’extension, réduite à ce qu’elle possède, privée de toute occasion de s’enrichir davantage. Mais dès lors qu’elle ne s’enrichit plus, elle s’appauvrit. L’habitude fait que tantôt sur un point, tantôt sur un autre, l’ancienne formation est délaissée. Elle finit par n’avoir plus qu’un petit nombre de spécimens qui lui restent fidèles, spécimens eux-mêmes de plus en plus incomplets et incertains.

Un exemple frappant nous est fourni par le grec, avec ses deux conjugaisons en μι et en ω, que nous voyons en concurrence dès les plus anciens temps, mais avec un constant recul de la conjugaison en μι, un constant progrès de la conjugaison en ω.

La première est, sans aucun doute, la plus ancienne[1], comme elle est la plus compliquée et la plus difficile. Aussi est-ce une formation close, réduite à une centaine de verbes (à la vérité, très importants), dont le nombre n’augmente plus. Dès l’époque homérique, la conjugaison en μι est non seulement parquée, mais attaquée chez elle. À côté de δείκνυμι l’on voit se produire un verbe δεικνύω. Le verbe εἰμί, « être », fait au participe ὤν, sur le modèle de λύων. Le verbe εἶμι, « aller », fait à l’optatif ἴοιμι, sur le modèle de λύοιμι. Les verbes à redoublement, comme

  1. Quelques linguistes, en ces dernières années, ont soutenu que la conjugaison en μι était la plus moderne. Nous ne pouvons voir dans cette thèse qu’un ingénieux paradoxe, que la vue seule du latin aurait dû empêcher de naître.