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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE

Il est vrai que l’erreur commise par les savants est commise aussi par le peuple. Mais on doit avouer que celui-ci se trompe avec plus d’esprit. L’anglais sweet-heart, qu’on écrit comme s’il signifiait « mon doux cœur », est formé du même suffixe que niggard, sluggard, coward. Il faudrait donc écrire sweetard, « doucereux[1] ». Mais il est certain que sweet-heart a plus de couleur.

De même en allemand les adjectifs comme trübselig, armselig, font aujourd’hui l’impression comme s’ils venaient de Seele, « âme », au lieu qu’ils sont le développement d’un suffixe abstrait -sal, qui est resté dans Trübsal, Mühsal. L’impression est si générale qu’un adjectif comme arbeitselig, vertrauensselig semble régulièrement formé, et qu’à l’imitation de armselig on a fait seelenarm.


Il existe en latin une forme du participe destinée, si nous en croyons les grammaires, à exprimer une idée d’obligation. On la trouve tantôt à l’actif : Nunc est bibendum. — Denegandum est exceptionem. — Dandum est operam, tantôt au passif : Asperum et vix ferendum. — Urbem dux militibus diripiendam dedit. — Danda opera est. Mais quelle que soit la construction, les grammaires affirment — et le sen-

  1. Sayce, Introduction to the science of language, II, 346.