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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

ne croit pas qu’il y ait dans le langage des termes absolument identiques[1]. Ayant le sentiment que le langage est fait pour servir à l’échange des idées, à l’expression des sentiments, à la discussion des intérêts, il se refuse à croire à une synonymie qui serait inutile et dangereuse. Or, comme il est tout à la fois le dépositaire et l’auteur du langage, son opinion qu’il n’y a pas de synonymes fait qu’en réalité les synonymes n’existent pas longtemps : ou bien ils se différencient, ou bien l’un des deux termes disparaît.

Ce qui a jeté le discrédit sur ce chapitre, ce sont les distinctions essayées dans le silence du cabinet par de prétendus docteurs en langage, que personne n’avait conviés à cette tâche. Il n’y a de bonnes distinctions que celles qui se font sans préméditation, sous la pression des circonstances, par inspiration subite et en présence d’un réel besoin, par ceux qui ont affaire aux choses elles-mêmes. Les distinctions que fait le peuple sont les seules vraies et les seules bonnes. Au même moment où il voit les choses, il y associe les mots.

Nous allons en donner des exemples.

Toutes les fois que deux langues se trouvent en présence, ou simplement deux dialectes, il se fait un travail de classement, qui consiste à attribuer des

  1. De là la question qu’on entend si fréquemment : Quelle différence y a-t-il ?…