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L’HISTOIRE DES MOTS.

l’infinitif se présente sans équivoque à son esprit. La phrase vient se placer dans un ancien moule formé à l’époque de la flexion, et qui y survit…

Les différentes langues s’écartent notablement les unes des autres sur ce point. La clarté du discours dépend du plus ou moins grand usage qui est fait de ces survivances. Un idiome tire son caractère de ce qu’il sous-entend aussi bien que de ce qu’il exprime. La juste proportion en ce genre fait le mérite d’une langue, comme la proportion des pleins et des vides en architecture.

L’allemand a gardé les tours d’une langue synthétique, quoique beaucoup de désinences aient disparu ou aient cessé d’être reconnaissables. Quand Goethe dit, dans son Iphigénie : Denkt Kinder und Enkel, « souvenez-vous de vos enfants et de vos descendants », c’est un génitif qu’il prétend employer. Mais rien ne l’indique au dehors. La difficulté de la langue allemande tient en partie à ces touches qui résonnent seulement pour l’oreille interne.

Ce n’est pas ici le lieu de multiplier les exemples. Mais cette forme linguistique intérieure dont parle Humboldt ne borne pas là son action : elle est, pour ainsi dire, présente à tout le développement du langage, habile à réparer les pertes, à sauver par d’utiles accroissements les désinences en péril, prête à profiter des accidents, prompte à étendre les acquisitions. C’est elle qui a donné à l’anglais son triple