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L’HISTOIRE DES MOTS.

notre esprit une sorte de grammaire qui, tôt ou tard, finit par marquer son empreinte sur le langage. C’est ce qu’il appelle Die innere Sprachform (la forme linguistique intérieure). Rien n’empêche d’accepter cette expression, mais à condition de la bien comprendre. Il est bien clair que la forme linguistique intérieure n’est pas un don de la nature, puisqu’elle varie d’un idiome à l’autre, et puisque pour un seul et même idiome elle se modifie dans le cours des âges. La forme linguistique intérieure n’est pas autre chose que le souvenir de la langue maternelle. Mais, à son tour, ce souvenir s’impose aux parties restées flottantes de la langue, et les fait entrer dans les cadres établis.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul problème de ce genre. En voici un autre non moins curieux.

La mort matérielle d’une désinence n’en suspend point l’usage. Longtemps encore après qu’elle a disparu, le langage y peut faire appel et lui demander des services comme si elle existait encore. Chose remarquable, ces services, la désinence absente continue de les rendre. Bien plus, on voit la fonction grammaticale dont elle était l’exposant se propager, quoique privée de toute expression, en sorte que la portion la plus importante de son histoire est quelquefois celle où elle a perdu son représentant extérieur et tangible.

Cette survivance des désinences peut se constater