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L’HISTOIRE DES MOTS.

de la langue des cuisiniers. Ceux qui, dans nos restaurants, écoutent les appels de la salle à manger au sous-sol, peuvent surprendre mainte ellipse du même genre. — Il est question dans les livres de droit d’un certain genre de prêt qui s’appelle le prêt à la grosse : cet adjectif pourrait longtemps nous laisser rêveurs, si nous n’apprenions par ailleurs qu’il s’agit du prêt à la grosse aventure, sorte de contrat s’appliquant aux risques en mer. Plus on sera au fait d’une profession ou d’un genre de vie, ou bien encore plus on voudra le paraître, plus on usera de cette langue sténographique. Un soldat passe de l’active dans la territoriale. Un homme lancé assiste à toutes les premières. Outre la célérité, il y a dans ces sous-entendus quelque chose qui flatte l’amour-propre, comme l’attrait d’une initiation. Tous les progrès, toutes les inventions modernes en augmentent le nombre. Nous attendons le rapide dans les gares de chemin de fer. Au temps de l’exposition de 1878, on allait visiter le captif des Tuileries. C’est le même procédé dont se sert l’argot. « Cache ta menteuse », dit un personnage de Zola à sa fille qui bavarde. Ces exemples sont pris tout près de nous, empruntés au langage d’aujourd’hui ou d’hier : mais nous pourrions aussi bien en prendre à l’étranger ou dans l’antiquité. Frère se dit en espagnol hermano, qui représente le latin germanus, lequel s’employait déjà dans le même sens ; mais par lui-même,