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L’HISTOIRE DES MOTS.

à ce propos ces hardis grimpeurs qui retirent sous leur pied droit le crampon qui le soutenait, après qu’ils ont mis le pied gauche sur le suivant. Le linguiste est seul à chercher la trace de ces mobiles échelons.


Celui qui, faisant l’histoire de la variation des sens, ne considérerait que les mots, risquerait de laisser échapper une partie des faits, ou bien il courrait le danger de les expliquer faussement. Une langue ne se compose pas uniquement de. mots : elle se compose de groupes de mots et de phrases.

Tout le monde se souvient d’avoir lu dans les dictionnaires, en cherchant un mot rare : « Il ne se dit plus que dans cette locution… ». Suit ordinairement une expression proverbiale, ou quelque terme technique, ou quelque phrase plus ou moins consacrée. Si l’on veut bien réfléchir sur la cause de ce phénomène, on sera amené à envisager les éléments du langage sous un aspect nouveau. Le linguiste attribue au mot une existence personnelle et continue à travers toutes les associations et combinaisons où il entre. Mais, dans la réalité, dès que le mot est entré en une formule devenue usuelle, nous ne percevons plus que la formule. Des vocables se sont conservés en certaines associations, lesquels ont depuis longtemps cessé d’être employés pour eux-mêmes,