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L’HISTOIRE DES MOTS.

pagne et prévient l’orateur. Il suffit de tomber à l’improviste dans une conversation commencée, pour voir que les mots sont un guide peu sûr par eux-mêmes, et qu’ils ont besoin de cet ensemble de circonstances, lequel, comme la clé en musique, fixe la valeur des signes. Les auteurs comiques connaissent à merveille cette faculté de polysémie, qui se trouve au fond des quiproquos dont ils égaient leur théâtre.


La diversité du milieu social n’est pas la seule cause qui contribue à l’accroissement et au renouvellement du vocabulaire. Une autre cause, c’est le besoin que nous portons en nous de représenter et de peindre par des images ce que nous pensons et ce que nous sentons. Les mots souvent employés cessent de faire impression. On ne peut pas dire qu’ils s’usent ; si le seul office du langage était de parler à l’intelligence, les mots les plus ordinaires seraient les meilleurs : la nomenclature de l’algèbre ne change pas. Mais le langage ne s’adresse pas seulement à la raison : il veut émouvoir, il veut persuader, il veut plaire. Aussi voyons-nous, pour des choses vieilles comme le monde, naître des images nouvelles, sorties on ne sait d’où, quelquefois de la tête d’un grand écrivain, plus souvent de celle d’un