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L’HISTOIRE DES MOTS.

seul et même mot, par exemple effet, exercice, conversion, dans le corps du dictionnaire, est suivi de cinq ou six traductions différentes, dont chacune a son numéro. On voit quelle est l’erreur de ceux qui, pour estimer la richesse d’une langue, se contentent de compter les vocables.

Il n’a pas été donné de nom, jusqu’à présent, à la faculté que possèdent les mots de se présenter sous tant de faces. On pourrait l’appeler polysémie. Pour le dire ici en passant, les inventeurs de langues nouvelles (et le nombre s’en est particulièrement accru dans ces dernières années) ne tiennent pas assez compte de cette faculté : ils croient avoir beaucoup fait quand ils ont rendu un mot par un autre, ne songeant pas qu’il faudrait, pour un seul mot, en créer souvent six ou huit ; ou bien si, dans leur idiome, ils reproduisent la polysémie française, ne donnent-ils pas aux Allemands ou aux Anglais lieu de se plaindre qu’on les fait parler français en volapük ?

Comment cette multiplicité des sens ne produit-elle ni obscurité ni confusion ? C’est que le mot arrive préparé par ce qui le précède et ce qui l’entoure, commenté par le temps et le lieu, déterminé par les personnages qui sont en scène. Chose remarquable ! il n’a qu’un sens, non pas seulement pour celui qui parle, mais encore pour celui qui écoute, car il y a une manière active d’écouter qui accom-