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L’HISTOIRE DES MOTS.

qu’il ait été formé par l’association de deux mots, ou qu’il sorte tout à coup d’un coin ignoré de notre société, est chose relativement rare. Ce qui est infiniment plus fréquent, c’est l’application d’un mot déjà en usage à une idée nouvelle. Là réside, en réalité, le secret du renouvellement et de l’accroissement de nos langues. Il faut remarquer, en effet, que l’addition d’une signification nouvelle ne porte nullement atteinte à l’ancienne. Elles peuvent exister toutes deux, sans s’influencer ni se nuire. Plus une nation est avancée en culture, plus les termes dont elle se sert accumulent d’acceptions diverses. Est-ce pauvreté de la langue ? est-ce stérilité d’invention ? Les observateurs superficiels peuvent seuls le croire. Voici, en réalité, comment les choses se passent.

À mesure qu’une civilisation gagne en variété et en richesse, les occupations, les actes, les intérêts dont se compose la vie de la société se partagent entre différents groupes d’hommes : ni l’état d’esprit, ni la direction de l’activité ne sont les mêmes chez le prêtre, le soldat, l’homme politique, l’artiste, le marchand, l’agriculteur. Bien qu’ils aient hérité de la même langue, les mots se colorent chez eux d’une nuance distincte, laquelle s’y fixe et finit par y adhérer. L’habitude, le milieu, toute l’atmosphère ambiante déterminent le sens du mot et corrigent ce qu’il avait de trop général. Les mots les plus