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L’HISTOIRE DES MOTS.

modent et se tassent. D’abord l’esprit hésite entre les deux termes : c’est le commencement d’une période de fluctuation. Quand, pour marquer la pluralité, l’on s’habitua, au xve siècle, à employer la périphrase beau coup, l’ancien adjectif moult ne disparut point incontinent, mais il commença de vieillir. Puis, après toutes sortes d’incertitudes et de contradictions, l’un des deux rivaux prend décidément l’avantage sur l’autre, distance son adversaire, le réduit à un petit nombre d’emplois, quand il ne l’efface pas absolument. En exposant ces faits, voici que nous tombons, à notre tour, dans le langage figuré que nous reprochions à M. Darmesteter, tant il s’offre naturellement à l’esprit. Mais tout le monde comprend bien qu’il est question de simples actes de notre esprit : quand, pour une raison ou pour une autre, nous avons commencé d’adopter un terme nouveau, nous le gravons peu à peu dans notre mémoire, nous le rendons familier à nos organes, nous le faisons passer des régions réfléchies dans les régions spontanées de notre intelligence, de sorte qu’il en est de ce terme nouveau comme d’un geste qui, par la répétition, nous devient propre, et finit à la longue par faire partie de notre personne.


À vrai dire, l’acquisition d’un mot nouveau, soit qu’il nous vienne de quelque idiome étranger, soit