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L’HISTOIRE DES MOTS

ments survenus dans le sens des mots sont l’ouvrage du peuple, et comme partout où l’intelligence populaire est en jeu, il faut s’attendre, non à une grande profondeur de réflexion, mais à des intuitions, à des associations d’idées, — quelquefois imprévues et bizarres, — mais toujours aisées à suivre. C’est donc à un spectacle curieux et attachant que nous convie cette histoire.

Cependant, sous l’aspect varié et changeant qu’elle présente, un esprit qui ne se contente pas des apparences peut désirer pénétrer jusqu’à la cause première, qui n’est autre que l’intelligence humaine : car de dire que les mots naissent, vivent entre eux et meurent, cela est, n’est-il point vrai ? pure métaphore. Parler de la vie du langage, appeler les langues des organismes vivants, c’est user de figures qui peuvent servir à nous faire mieux comprendre, mais qui, si nous les prenions à la lettre, nous transporteraient en plein rêve. M. Darmesteter ne s’est peut-être pas toujours assez défié de cette sorte de mise en scène. Comme il est plus aisé aux hommes d’observer les objets extérieurs que de lire en eux-mêmes, nous raisonnons sur les produits de l’intelligence plus volontiers que sur la faculté dont ils émanent. Mais tout en nous laissant aller, pour la facilité du discours, à cette pente naturelle, il est bon de corriger de temps à autre l’illusion. Ne craignons pas de regarder quelquefois l’intérieur de