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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

Mais ce n’est point au nom de leur propre autorité que ces savants prononcent leurs jugements. C’est au nom du bon usage : et si on leur demande où l’on trouve ce bon usage, ils répondent sans hésiter que c’est à la Cour. La langue de la province ne peut que gâter par son mauvais air la pureté du vrai langage français. Fénelon, sur ce point, est du même sentiment que Vaugelas : « Les personnes les plus polies ont de la peine à se corriger de certaines façons de parler qu’elles ont prises pendant leur enfance en Gascogne, en Normandie, ou à Paris même, par le commerce des domestiques… ». La Cour même n’est pas toujours exempte de blâme : « Elle se ressent un peu, continue Fénelon, du langage de Paris, où les enfants de la plus haute condition sont d’ordinaire élevés ».

J’ai cité ces opinions à dessein pour montrer combien elles sont loin des théories aujourd’hui accréditées.

Pour la linguistique moderne, toutes les formes, du moment qu’elles sont employées, ont droit à l’existence. Plus même elles sont altérées, plus elles sont intéressantes… La véritable vie du langage se concentre dans les dialectes : la langue littéraire, arrêtée artificiellement dans son développement, n’a pas à beaucoup près la même valeur… On devrait se garder de faire de la langue maternelle un objet d’enseignement : on ne fait que troubler par là