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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

comme d’un ornement de langage, qui se trouve en toutes les plus belles langues, mortes et vivantes. »

Le besoin d’ordre et de règle ne se borne pas aux mots : il s’étend aux locutions et aux phrases. « Il est indubitable que chaque langue a ses phrases, et que l’essence, la richesse et la beauté de toutes les langues consistent principalement à se servir de ces phrases-là. Ce n’est pas qu’on n’en puisse faire quelquefois, au lieu qu’il n’est jamais permis de faire des mots ; mais il faut bien des précautions… » : sinon, au lieu d’enrichir la langue, on la corrompt.

Ces savants du xviie siècle sont donc convaincus qu’en toute rencontre il y a une bonne forme, et qu’il n’y en a qu’une. Aussi proscrivent-ils sans hésitation « la mauvaise forme », qui n’est souvent que la forme moins usitée ou plus ancienne.

L’idée de l’utilité l’emporte chez eux sur toute autre considération : comme les hommes ont reçu le langage pour se faire comprendre, admettre deux formes entre lesquelles serait laissée l’option, serait ouvrir la porte aux malentendus et aux disputes. Il ne s’agit donc pas pour le grammairien de se dérober et « de gauchir aux difficultés ». Il les faut regarder en face et établir des règles certaines… Nous pouvons sourire de ce ton d’autorité, mais il est heureux pour la durée de la langue française qu’il y ait eu des esprits de cette trempe.