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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

aptitude à dire de la manière la plus courte et la plus harmonieuse, ce que les autres langages expriment moins heureusement ». Si nous acceptons cette définition, nous pouvons dire que les auteurs de ces néologismes pèchent contre le génie de la langue française. On a quelquefois reproché à celle-ci de ne pas se prêter aisément à la formation des mots nouveaux : en présence de ces exemples, je suis plutôt porté à penser qu’elle s’y prête trop. L’anglais et l’allemand ont la ressource des mots composés : mais un composé mal venu, comme il s’en fait tous les jours en ces deux langues, a moins d’inconvénient, car les deux termes momentanément associés se séparent le moment d’après, au lieu que ces noms abstraits, soudés au moyen de nos suffixes, ont l’air d’être forgés pour durer.

Toute chose dont on se sert est exposée à s’user : il ne faut donc pas s’étonner si les mêmes vocables, les mêmes images, employés durant un long espace de temps, ne font plus la même impression sur l’esprit. L’invention de formes nouvelles a donc sa raison d’être. L’important est que la consommation ne soit pas plus rapide que la production : c’est l’ironie, c’est la caricature, ce sont les guillemets, ce sont les luttes haineuses de la tribune et du journalisme, ce sont les exagérations du drame et du feuilleton qui accélèrent les changements inévitables du langage. Pour défaire et pour détruire, la volonté réfléchie a