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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

vient du même terroir et où se trouve répandu sur tous les mots un air de familiarité et de parenté. Ce plaisir peut devenir très vif quand l’écrivain, en ce langage uni, exprime des sentiments généreux ou de graves pensées. Il semble alors qu’on éprouve la même impression qu’à voir une belle action simplement faite. On a en même temps le vague sentiment que tout cela ne pouvait pas être inconnu à nos pères, puisqu’ils avaient déjà tout ce qu’il faut pour le dire, et que par suite nous sommes les enfants d’une nation très ancienne et très noble. En pareil cas, l’emploi d’un mot étranger n’est pas seulement dépourvu de motif ; il est nuisible. C’est ce qu’avait déjà compris l’auteur de la Précellence du langage françois, quand il disait des mots italiens, alors si nombreux chez nous, qu’ils étaient — « non pas françois, mais gâte-françois ».

Il peut sembler puéril de vouloir borner son vocabulaire aux mots admis dans tel ou tel recueil officiel. Cependant je me souviens d’avoir entendu dire à un maître en l’art d’écrire que l’idée du Dictionnaire de l’Académie était une idée raisonnable et juste, attendu qu’il nous apprend de quels mots il nous faut user si nous voulons être compris de tout le monde. Comme les limites de ce vocabulaire n’ont point paru trop étroites aux plus beaux génies, il faut déjà de sérieuses raisons pour nous décider à chercher en dehors l’expression nécessaire à notre pensée.