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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

que le langage est une œuvre en collaboration, où l’auditeur entre à part égale. Tel mot étranger qui sera à sa place si je m’adresse à des spécialistes, paraîtra une affectation ou sera une cause d’obscurité si j’ai devant moi un public non initié. Je ne suis point choqué de trouver des mots anglais dans un article sur les courses de chevaux ou sur les mines de charbon : mais celui qui lit un roman ou qui assiste à une pièce de théâtre demande qu’on parle une langue intelligible pour tout le monde. Il n’y a donc pas de solution uniforme à cette question des mots étrangers : les Sociétés qui s’occupent d’épurer la langue ne peuvent penser légitimement qu’à la langue de la conversation et de la littérature. Aussitôt qu’elles portent leurs prétentions plus loin, elles ne font plus qu’une œuvre inutile et gênante.


Quand il s’agit de notre vie morale, la présence des mots étrangers peut faire l’impression d’une dissonance. Plus les sentiments à exprimer sont intimes, plus le cercle linguistique se resserre. Il y a là pour le lecteur ou l’auditeur un plaisir intellectuel de nature très fine. Comme les ménagères d’autrefois se faisaient honneur de ne consommer que le lait de leur étable ou les fruits de leur jardin, un esprit délicat est sensible à un langage où tout