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QU’APPELLE-T-ON PURETÉ DE LA LANGUE ?

encore à l’origine exotique de ces dénominations ? Les amateurs intransigeants de pureté devraient se rappeler que pareille chose a eu lieu de tout temps, et puisqu’ils invoquent la tradition classique, on peut leur dire que les anciens, sur ce chapitre, ont fait exactement de même. Les Romains ayant reçu leur écriture des Grecs, tout ce qui se rapporte à l’art de l’écriture est grec, à commencer par scribere et litteræ. Et non pas seulement ceux-là : qu’il s’agisse de science, de droit, de rituel, d’art militaire, de poids et mesures, de constructions, d’objets d’art, de vêtements, on retrouve partout en latin les traces de la Grèce et les noms grecs. Si nous pouvions remonter plus haut, nous verrions sans doute que beaucoup de termes techniques que nous croyons grecs sont nés loin du sol de l’Hellade. Ils nous conduiraient vers l’Égypte et la Chaldée. Ainsi les emprunts sont de toutes les époques : ils sont aussi vieux que la civilisation, car les objets utiles à la vie, l’outillage des sciences et des arts, ainsi que les conceptions abstraites qui élèvent la dignité de l’homme, ne s’inventent pas deux fois, mais se propagent de peuple à peuple, pour devenir le bien commun de l’humanité. Il paraît donc légitime de leur conserver leur nom. Puisque les mots sont, à leur manière, des documents historiques, il est, ce semble, peu à propos de vouloir en supprimer de parti pris le témoignage.