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LE LANGAGE ÉDUCATEUR DU GENRE HUMAIN.

On a appelé le langage un organisme, mot creux, mot trompeur, mot prodigué aujourd’hui, et employé toutes les fois qu’on veut se dispenser de chercher les vraies causes. Puisque d’illustres philologues ont déclaré que l’homme n’était pour rien dans l’évolution du langage, qu’il n’était capable d’y rien modifier, d’y rien ajouter, et qu’on pourrait aussi bien essayer de changer les lois de la circulation du sang, puisque d’autres ont comparé cette évolution à la courbe des obus ou à l’orbite des planètes, puisqu’aujourd’hui c’est devenu vérité courante et transmise de livre en livre, il m’a paru utile d’avoir enfin raison de ces affirmations et d’en finir avec cette fantasmagorie.

Nos pères de l’école de Condillac, ces idéologues qui ont servi de cible, pendant cinquante ans, à une certaine critique, étaient plus près de la vérité quand ils disaient, selon leur manière simple et honnête, que les mots sont des signes. Où ils avaient tort, c’est quand ils rapportaient tout à la raison raisonnante, et quand ils prenaient le latin pour type de tout langage. Les mots sont des signes : ils n’ont pas plus d’existence que les gestes du télégraphe aérien ou que les points et les traits (. —) du télégraphe Morse. Dire que le langage est un organisme, c’est obscurcir les choses et jeter dans les esprits une semence d’erreur. On pourrait dire aussi bien que l’écriture, elle aussi, est un organisme, car nous