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LE LANGAGE ÉDUCATEUR DU GENRE HUMAIN.

ses progrès, elle ne manquerait pas de devenir, au bout de quelque temps, une entrave et une camisole de force. À mesure que l’expérience du genre humain augmente, le langage, grâce à son élasticité, se remplit d’un sens nouveau.


S’il fallait dire où réside la supériorité des langues indo-européennes, je ne la chercherais pas dans le mécanisme grammatical, ni dans les composés, ni même dans la syntaxe : je crois qu’elle est ailleurs. Elle est dans la facilité qu’ont ces langues, et depuis les temps les plus anciens que nous connaissions, à créer des noms abstraits. Qu’on examine les suffixes qui servent à cet usage : on sera surpris de leur nombre et de leur variété. Ils ne sont point particuliers à telle ou telle langue, mais on les retrouve pareillement en latin, en grec, en sanscrit, en zend, dans tous les idiomes de la famille. Ils sont donc antérieurs : si bien, qu’empruntant les dénominations d’une autre science, qui marque les époques par les monuments qu’on en a gardés, nous pourrions parler d’une période des suffixes, période qui suppose de toute nécessité une certaine force d’abstraction et de réflexion. C’est la présence de ces noms en grand nombre, ainsi que la possibilité d’en faire d’autres sur le même type, qui a rendu les