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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

langage se compose de tout cela : il nous rend à la fois les idées maniables, et il fournit en même temps les cadres du raisonnement.

Des penseurs lui en ont fait un reproche. « Chaque mot représente bien une portion de la réalité[1], mais une portion découpée grossièrement, comme si l’humanité avait taillé selon sa commodité et ses besoins, au lieu de suivre les articulations du réel. » Supposons pour un moment le reproche fondé. Comme il est peu de chose au prix de l’immense service rendu à la masse des hommes ! Tout imparfait qu’il est, le langage dépasse la plupart d’entre nous : il nous faut du temps pour le rejoindre. Combien peu seraient capables de procéder par eux-mêmes à ces découpures ! Nous avons vu d’ailleurs que les contours n’en sont pas si résistants qu’on ne puisse les plier ou les élargir pour les faire entrer en des classements nouveaux. Une langue philosophique, au contraire, une langue sortie d’un système, où chaque mot resterait à jamais délimité par sa définition, et où l’affinité des mots serait calquée sur l’enchaînement vrai ou supposé des idées, comme le plan en a été dressé à différentes reprises, une telle langue peut bien convenir pour quelques sciences spéciales, comme la chimie, mais appliquée à la pensée humaine, en sa variété et sa complexité, avec ses fluctuations et

  1. Bergson.