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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

les langues anciennes, même pour les parler médiocrement. Il fallait, pour les diverses déclinaisons, établir des séries où certaines flexions se correspondaient sans se ressembler, et où d’autres, qui se ressemblaient, devaient être tenues séparées. Un classement analogue était nécessaire pour les personnes, les temps, les modes[1]. Il y a là tout un chapitre de vie intérieure qui recommençait avec chaque individu. Le peuple portait donc en lui une grammaire non écrite, dans laquelle il se glissait sans doute des erreurs et des fautes, mais qui, tout compensé, n’en avait pas moins une certaine fixité, puisque ces langues se sont transmises de génération en génération pendant des siècles.

Quand nous considérons la peine que coûtent aujourd’hui ces mêmes langues anciennes, nous sommes quelque peu surpris. Mais il faut songer que l’éducation de la langue maternelle a l’avantage de se faire à toutes les heures du jour et en tous lieux, qu’elle a le stimulant de la nécessité, qu’elle s’adresse à des intelligences fraîches et qu’enfin elle présente ce caractère unique d’associer les mots aux choses, et non les mots d’une langue aux mots d’une autre langue. Les mêmes circonstances se retrouvent pour toutes les langues maternelles ; partout l’esprit de l’enfant en triomphe. Je ne veux

  1. H. Paul, Principien der Sprachgeschichte, 2e édit., p. 24. Voir aussi les études de Steinthal et Lazarus, dans leur Journal.