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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

les intentions des interlocuteurs[1]. On peut les comparer à des gestes faits en passant ou à des regards d’intelligence jetés du côté de l’auditeur.

Une véritable analyse logique, pour justifier ce nom, devrait distinguer avec soin ces deux éléments. Si je dis, en parlant d’un voyageur : « À l’heure qu’il est, il est sans doute arrivé », sans doute ne se rapporte pas au voyageur, mais à moi. L’analyse logique, comme on la pratique dans les écoles, a été quelquefois embarrassée de cet élément subjectif : elle n’a pas vu que tout discours un peu vif peut prendre le caractère d’un dialogue avec le lecteur. Tels sont ces pronoms jetés au milieu d’un récit, où le conteur a soudainement l’air de prendre à partie son auditoire. La Fontaine les affectionnait :

Il vous prend sa cognée : il vous tranche la tôle.

On les a appelés « explétifs », et en effet ils ne font point partie de la narration, ce qui n’empêche qu’ils correspondent à l’intention première du langage.

Faute d’avoir pris en considération cet élément subjectif, certains mots des langues anciennes ont été mal compris. Un linguiste contemporain, et non des moindres, traitant de l’adverbe latin oppido, se refuse à croire qu’il soit l’ablatif d’un adjectif

  1. Ἤ, μήν, τοί, πού, ἴσως, δή, τάχα, σχέδον, ἄρα, νύν, etc.