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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

Ainsi s’est formé ce que les grammairiens appellent l’accusatif de durée : Vejorum urbs decem æstates hiemesque continuas circumsessa… Flamini Diali noctem unam extra urbem manere nefas est. On trouve chez Lysias, pour dire qu’un homme est mort depuis trois ans : τέθνηκε ταῦτα τρία ἔτη. Le latin dit de façon non moins étrange : Puer decem annos natus.

Il est arrivé, ce qui ne pouvait manquer, que l’accusatif de durée s’est quelquefois confondu avec l’accusatif régime. Quand, en français, nous disons : les années qu’il a vécu, on ne sait au juste comment il faut considérer cette construction. Le même fait se rencontre dans les langues anciennes[1]. On peut différer d’avis sur quelques-uns de ces cas et l’on connaît les hésitations de l’orthographe française, mais sauf ces rencontres particulières pour lesquelles il est difficile de formuler une règle, l’existence d’un accusatif de durée est hors de doute ; il forme la troisième étape de cette histoire.


Il nous resterait à expliquer les locutions comme decem pedes latus ou comme os humerosque deo

  1. En sanscrit : çatam ǵiva çaradas, « puisses-tu vivre cent ans ! » — En grec : ἕνα μῆνα μένων, « restant un mois ». Τὴν αὔριον μέλλουσαν εἰ βιώσεται (Euripide, Alc.. 784) [« personne ne sait] s’il vivra le jour de demain ». Les langues anciennes ont l’air de ranger ces constructions sous la catégorie de l’accusatif régime. Mais le français se montre plus préoccupé du fond des choses, qui exige l’accusatif de durée.