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DE QUELQUES OUTILS GRAMMATICAUX.

quelque signification concrète, cela n’est pas douteux : d’autres ont suivi la même voie, comme fuo, exsto, evado. S’ils ne sont pas parvenus au même degré de décoloration, il y faut voir une différence d’âge, non de nature.

Il s’est passé quelque chose de semblable pour le verbe avoir. Quand je dis : « Cet homme a perdu tout ce qu’il avait », j’emploie deux fois le même verbe avoir sans que personne en soit choqué, tant le changement d’emploi a fait du verbe auxiliaire un mot d’espèce à part.


C’est ainsi que le langage, sur le stock héréditaire, prélève un certain nombre d’expressions dont il fait des outils grammaticaux. Celui qui ne les a jamais connus qu’en ce dernier rôle, a de la peine à s’imaginer qu’il fut un temps où ces mêmes mots avaient leur signification propre. Un auteur du xviiie siècle fait remarquer que dans cette locution : « Il a été ordonné… », trois mots sur quatre servent simplement à l’agencement du discours. Le nombre de ces mots va en augmentant lentement avec les siècles, car, d’une part, la spécialité de la fonction[1] tend à en créer de nouveaux, et, d’autre part, la force transitive les mêle de plus en plus,

  1. Voir ci-dessus, p. 11.