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COMMENT S’EST FORMÉE LA SYNTAXE.

marcher, dormir), les autres prenant après eux ce qu’on a appelé un complément. La question a été soulevée de savoir lesquels, de ces verbes, étaient les plus anciens. Pour moi, la réponse n’est pas douteuse : non seulement les verbes neutres sont les plus anciens, mais on doit admettre une période où il n’y avait que des verbes neutres. Je crois, en effet, que les mots ont été créés pour avoir une pleine signification par eux-mêmes, et non pour servir à une syntaxe qui n’existait pas encore.

Quelques-uns de ces verbes ayant été fréquemment associés à des mots qui en déterminaient la portée, qui en dirigeaient l’action sur un certain objet, l’esprit s’est habitué à un accompagnement de ce genre, si bien qu’il en est venu à attendre ce qui lui faisait l’effet d’une addition obligée, d’une direction nécessaire. Par un transport idéal dont les analogues se trouvent encore ailleurs qu’en linguistique, notre intelligence a cru sentir dans les mots ce qui est le résultat de notre propre accoutumance ; on a eu dès lors des verbes qui exigeaient après eux un complément. Le verbe transitif était créé[1].

  1. On est convenu de réserver le nom de verbes transitifs aux seuls verbes qui se construisent avec l’accusatif. Dans un sens plus large, on peut appeler aussi transitifs les verbes qui, comme μιμνήσκω, χρῆσθαι, se construisent avec le génitif ou le datif. Ce n’est pas le choix de tel ou tel cas qui importe, mais l’étroite connexion établie par l’esprit, à tel point que le verbe paraîtrait incomplet sans son accompagnement.