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DES CATÉGORIES GRAMMATICALES.

toutes les autres, c’est, selon nous, le pronom. Je crois cette catégorie plus primitive que celle du substantif, parce qu’elle demande moins d’invention, parce qu’elle est plus instinctive, plus facilement commentée par le geste. On ne doit donc pas se laisser induire en erreur par cette dénomination de « pronom » (pro nomine), qui nous vient des Latins, lesquels ont traduit eux-mêmes le grec ἀντωνυμία. L’erreur a duré jusqu’à nos jours[1]. Les pronoms sont, au contraire, à ce que je crois, la partie la plus antique du langage. Comment le moi aurait-il jamais manqué d’une expression pour se désigner ?

À un autre point de vue, les pronoms sont ce qu’il y a de plus mobile dans le langage, puisqu’ils ne sont jamais définitivement attachés à un être, mais qu’ils voyagent perpétuellement. Il y a autant de moi que d’individus qui parlent. Il y a autant de toi que d’individus à qui je puis m’adresser. Il y a autant de il que le monde renferme d’objets réels ou imaginaires. Cette mobilité vient de ce qu’ils ne contiennent aucun élément descriptif. Aussi une langue qui ne se composerait que de pronoms ressemblerait au vagissement d’un enfant ou à la gesticulation d’un sourd-muet. Le besoin d’un autre élément, dont le substantif, l’adjectif et le verbe furent formés, était

  1. Les pronoms, dit encore Reisig, sont une invention de la commodité (eine Erfindung der Bequemlichkeit), pour remplacer soit un substantif, soit un adjectif.