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COMMENT LES NOMS SONT DONNÉS AUX CHOSES.

dérobe le sentiment de la signification étymologique. Les dérivés peuvent impunément s’éloigner de leur primitif, et, d’autre part, le primitif peut changer de signification sans que les dérivés soient atteints. Quoique le mot latin venus, qui était primitivement du neutre, et qui signifiait « grâce, joie », eût été adopté pour désigner l’Aphroditè grecque, le verbe veneror, « rendre grâce, honorer », n’en a pas moins gardé son sens religieux et chaste.


On a soutenu que les noms propres, comme Alexandre, César, Turenne, Bonaparte, formaient une espèce à part et étaient situés en dehors de la langue. Il y a bien quelques raisons en faveur de cette opinion : nous voyons d’abord que pour cette catégorie le sens étymologique n’est d’aucune valeur ; de plus, ils passent d’une langue à l’autre sans être traduits ; enfin ils suivent généralement les transformations phonétiques d’une marche plus lente. Néanmoins on peut dire qu’entre les noms propres et les noms communs il n’y a qu’une différence de degré. Ils sont, pour ainsi dire, des signes à la seconde puissance. Si le sens étymologique ne compte pour rien, nous venons de voir qu’il n’en est guère autrement des substantifs ordinaires, pour lesquels le progrès consiste précisément à s’affranchir de leur point de départ. S’ils passent d’une langue à l’autre