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LES GROUPES ARTICULÉS.

sition[1]. L’auditeur, averti par l’usage, prévoit si bien cette seconde assertion que dès la première il sent naître l’antithèse.

Ces locutions ayant passé à l’état de groupe indissoluble peuvent garder des formes grammaticales qui n’existent plus dans le langage courant. Ainsi le latin duntaxat contient l’aoriste du subjonctif du verbe tango, analogue à λύσῃ, λέξῃ. Un ancien substantif neutre regum, signifiant « direction », est contenu dans l’adverbe ergo, pour e rego, « en ligne droite, par conséquent »[2]. Dans l’allemand nur nous avons une petite proposition : ne wære, « si ce n’était ». Le grec moderne ἄς, qui marque une invitation (ἂς λαλήσωμεν, ἂς εἰσέλθωσι), représente l’ancien impératif ἄφες, « permets ».

Le langage, à mesure que nous le regardons de plus près, nous révèle de nouvelles stratifications sémantiques. Il a fallu ce long travail pour qu’un raisonnement un peu serré pût se communiquer à autrui sans déviation ni obscurité. Aujourd’hui le bénéfice de ce travail est à la disposition de chacun : il est si facile de manier ces groupes articulés, qu’on est tenté de croire qu’ils ont existé de tout temps. L’enfant en apprend le maniement comme il apprend à se servir de l’héritage de ses

  1. Quamvis sis molestus, nunquam te esse confitebor malum, (Cicéron, Tusc., II, 25, 61. Il est question de la douleur.) « Sois importune tant que tu voudras : je n’avouerai jamais que tu es un mal. »
  2. Cf. e regione.