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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

particule θα n’est pas autre chose que l’amalgame du groupe θέλει ἵνα, « il veut que »[1]. Ces faits doivent nous rendre prudents sur le compte des particules anciennes, si courtes, mais souvent si chargées de sens, que Pott comparait aux substances légères dont une pincée suffit pour changer le goût et la saveur d’un mets[2].

Non seulement ces groupes articulés gardent entière la signification des éléments dont ils sont composés, mais ils bénéficient en outre d’une valeur qui ne leur appartient pas en propre, mais qui résulte de la position qu’ils occupent habituellement dans la phrase. Je prends comme exemple le mot cependant, où nous croyons sentir aujourd’hui une opposition. Rien dans ce mot ne marque l’opposition. Mais comme il arrive souvent qu’on énumère deux faits concomitants pour les opposer entre eux, l’idée adversative y est peu à peu entrée. Nous croyons de même sentir une valeur d’opposition dans les conjonctions latines quamvis, quanquam, etsi, etiamsi, licet, etc. Tous ces mots sont simplement affirmatifs ; quelques-uns même exagèrent l’affirmation, permettant de l’étendre aussi loin qu’on voudra, pour faire ressortir d’autant plus le fait tenu en réserve, qui viendra limiter ou contredire la première propo-

  1. Dans le dialecte épirote, au lieu de θα, on trouve encore θελά.
  2. Voir, par exemple, la fine analyse de la particule latine an, par James Darmesteter, dans les Mémoires de la Société de linguistique, t. V.