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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

On pourrait supposer, il est vrai, que les grammairiens indous, fidèles à leurs vues systématiques, ont quelquefois interprété comme des composés, et traité comme tels, de petites phrases où les mots sont mis bout à bout, selon une construction assez lâche, dans laquelle il ne faut chercher ni règles d’accord, ni règles de subordination. C’est un soupçon dont on ne peut se défendre quand on voit les explications extraordinaires auxquelles les commentateurs ont recours. Nous voyons, par exemple, que, dans une narration, nihçvāsa-paramā (soupirant beaucoup) est traduit par « regardant les soupirs comme la chose suprême », et cintā-parā (très pensive) par « ayant pour premier bien la méditation ». On se demande si ce ne sont pas là des interprétations artificielles, et si derrière ces prétendus composés ne se cache point un état de la langue beaucoup moins rigoureusement ordonné[1]. Un examen des langues modernes de l’Inde, dont les habitudes percent à travers le sanscrit, contribuera à résoudre ces doutes.

Je me suis permis cette digression pour montrer comment les différentes parties d’une langue sont dans une dépendance mutuelle, et comment, en

  1. Pour reprendre les exemples cités plus haut, on comprendrait très bien l’interprétation suivante : « les cinq frères Pândavas, leur mère sixième ». Et ainsi des autres. — Nous disons en français : « Il vient, les cheveux hérissés, le visage en feu », sans qu’il soit possible d’expliquer, au point de vue de la syntaxe française, ce que sont ces membres de phrase.