Page:Bréal - Essai de Sémantique.djvu/195

Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
LES NOMS COMPOSÉS.

est pour le sanscrit comme une seconde voie ouverte, qui lui permet de contourner, ou peu s’en faut, toute syntaxe.

C’est ainsi que de krōdhas, « colère », et ǵita, « vaincu », on fera un composé, ǵita-krōdas, « qui a sa colère vaincue, qui maîtrise sa colère ». De prāpta, « obtenu », ǵīvika, « provision », on fait prāpta-ǵīvika, « qui a ce qu’il faut pour vivre ». De kāma, « désir », et tjaktum, infinitif du verbe tjaǵ, « quitter », on fait tjaktu-kāma, « ayant le désir de s’en aller ».

Des mots comme ceux que nous venons de citer n’ont rien que d’ordinaire en sanscrit. Cette langue fait aussi entrer dans l’épithète des circonstances étrangères à la personne, comme serait l’heure du jour ou le nombre des assistants. De mātrĭ, « mère », et šaštha, « sixième », le sanscrit fait mātrĭ-šaštha, épithète des cinq frères Pândavas accompagnés de leur mère. C’est ce qu’on traduit par « ayant leur mère pour sixième [compagne] ». De asthi, « os », et bhūjas, comparatif de bhūri, « beaucoup », le sanscrit fait asthi-bhūjas, qui signifie « composé en majeure partie d’os, n’ayant que les os et la peau ». De daça, « dix », et avara, « inférieur », il fait daça-avara, épithète d’une assemblée de dix personnes au moins. Il y a là un véritable abus, qui a étendu la faculté de composition hors de ses justes limites, et qui, par contre-coup, a eu pour résultat d’atrophier les autres moyens d’expression.