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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

ordre est de laisser à la partie principale, qui vient en dernier, la liberté de prendre, selon la construction générale de la phrase, la flexion soit du nominatif, soit de l’accusatif, soit de tout autre cas.

Mais on sait que le grec s’écarte assez souvent de cet ordre : les essais d’explication qu’on a présentés pour interpréter selon le type sanscrit les composés comme φιλόξενος, ont été des moins convaincants. On ne s’est pas assez souvenu qu’ici nous entrons dans un domaine où l’originalité propre de chaque peuple commence à avoir plus de jeu. Il est impossible à l’individu de créer à volonté une flexion nouvelle soit de nom, soit de verbe, parce que les éléments dont les flexions grammaticales ont été formées sont depuis longtemps sortis de la circulation : mais des composés dont chaque partie présente un sens par elle-même, forme un mot par elle-même, il n’est pas interdit à l’initiative individuelle d’en essayer l’assemblage à sa guise. L’usage chez les Grecs de choisir pour noms propres des composés comme Θεώδορος, Νικόστρατος, Λεώκριτος, et d’en renverser une autre fois l’ordonnance, de manière à former ensuite Δωρόθεος, Στρατονίκη, Κριτόλαος, a pu contribuer à l’habitude de manier librement ces mots. Nous voyons ici se faire jour dans le langage une liberté consciente d’elle-même.