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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

Deux mots étant habituellement réunis, l’un peut être supprimé sans que la locution dont il fait partie en souffre le moins du monde : quelquefois même l’expression y gagne en énergie. C’est que le sens des deux mots s’étant combiné, ils ne forment plus qu’un seul signe : or, un signe peut être coupé, rogné, réduit de moitié ; pourvu qu’il soit reconnaissable, il remplit toujours le même office. On conçoit les étranges accumulations de sens qui doivent se faire, car rien n’empêche que la suppression porte sur la partie essentielle. Il ne sert de rien d’établir des catégories, selon qu’on a enlevé le premier ou le second mot, selon que l’adjectif survit au substantif ou inversement. La seule règle qui compte, c’est celle-ci : la partie qui subsiste tient lieu de l’ensemble, le signe, quoique mutilé, reste adéquat à l’objet.

Les exemples de ce fait sont innombrables : nos articles de dictionnaire n’auraient pas la longueur que nous leur voyons, si les verbes n’avaient pas absorbé en eux le sens d’un complément qui dès lors peut être omis, si les adjectifs ne s’étaient pas enrichis de la valeur d’un substantif sous-entendu, si des phrases entières ne s’étaient pas ramassées en un seul mot.

Beaucoup d’apparentes bizarreries s’évanouissent à la lumière de ce simple fait. Les langues modernes étant généralement plus chargées de sens que les