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ESSAI DE SÉMANTIQUE.

tombe en ruines ; si l’on se retranche dans de vagues théories sur l’origine du langage, on ajoute, sans grand profit, un chapitre à l’histoire des systèmes. Il y a, ce me semble, autre chose à faire. Extraire de la linguistique ce qui en ressort comme aliment pour la réflexion, et — je ne crains pas de l’ajouter — comme règle pour notre propre langage, puisque chacun de nous collabore pour sa part à l’évolution de la parole humaine, voilà ce qui mérite d’être mis en lumière, voilà ce que j’ai essayé de faire en ce volume.

Il n’y a pas encore bien longtemps, la Linguistique aurait cru déroger en avouant qu’elle pouvait servir à quelque objet pratique. Elle existait, prétendait-elle, pour elle-même, et elle ne se souciait pas plus du profit que le commun des hommes en pourrait tirer, que l’astronome, en calculant l’orbite des corps célestes, ne pense à la prévision des marées. Dussent mes confrères trouver que c’est abaisser notre science, je ne crois pas que ces hautes visées soient justifiées. Elles ne conviennent pas à l’étude d’une œuvre humaine telle que le langage, d’une œuvre commencée et poursuivie en vue d’un but pratique, et d’où, par conséquent, l’idée de l’utilité ne saurait à aucun moment être absente. Bien plus : je crois que ce serait enlever à ces recherches ce qui en fait la valeur. La Linguistique parle à l’homme de lui-même : elle lui montre comment il a