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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

sens détourné, étant d’une époque postérieure, s’est dérobé à la règle. Nous sommes habitués à former de ciel le pluriel cieux : « Celui qui règne dans les cieux, jusqu’au haut des cieux ». Mais nous dirons d’un peintre qu’il soigne bien ses ciels, non point pour le plaisir de faire une distinction futile, mais parce que la critique d’art s’est seulement créé sa langue au xviiie siècle.


Nous n’avons pas encore épuisé ce chapitre de la polysémie. Il existe une polysémie indirecte ou du second degré, qu’il est bon de ne pas confondre avec l’autre, quoique d’ordinaire on les amalgame. Un ou deux exemples feront comprendre en quoi elles diffèrent.

En latin, truncus désigne un tronc d’arbre ; il veut dire aussi « mutilé, incomplet ». Mais on aurait tort de passer d’un sens à l’autre : il y a un intermédiaire qu’il ne faut pas omettre. De truncus, « tronc d’arbre », est venu truncare, « couper, étêter un arbre ». C’est ce truncare qui a produit l’adjectif truncus, lequel n’a avec le précédent qu’une parenté déjà plus éloignée.

Un autre exemple est le latin examen, qui signifie à la fois « essaim » et « examen ». Pour connaître la raison de cette polysémie, il faut s’adresser au