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COMMENT S’EST FIXÉ LE SENS DES MOTS.

Le mot ordo, avec la longue série de ses significations si variées et si importantes — en politique, à la guerre, dans l’administration, dans les arts — est lui-même un présent de l’humble métier du tisseur[1].

Les auspices avaient une telle importance qu’on ne peut être surpris d’en retrouver le souvenir dans la langue commune : l’adjectif propitius, qui marquait le vol en avant[2] ; l’adjectif sinister, qui marquait les présages funestes ; les verbes aucupari, « épier » ; augurare, « conjecturer » ; autumare, « affirmer », qui contiennent tous les trois le substantif avis ; l’adverbe extemplo, employé d’abord pour les présages surgissant à l’intérieur du templum céleste ; le verbe contemplari, emprunté à l’occupation ordinaire des augures, en sont d’unanimes témoignages.

La langue du droit n’a pas été moins fertile. J’en citerai seulement ce curieux mot rivalis, qui désignait des propriétaires voisins se servant d’un même cours d’eau, et qui est devenu le nom de toute espèce de rivalité[3].

Le génie différent des nations perce déjà dans quelques vieilles métaphores. Ainsi les Grecs, pour exprimer l’idée de « ressource, d’expédient », emploient πόρος. « Quel remède à mes maux ? » s’écrie

  1. Or., II, 33. — Il est curieux de constater que le verbe ordiri a survécu en français précisément en son sens primitif : ourdir. Le tisserand l’avait fourni : le tisserand l’a conservé.
  2. D’une racine pet qui se retrouve dans le grec πέτομαι, « voler ».
  3. Il y avait à Rome une Lex rivalicia (Festus, p. 340), qui réglait les rapports entre rivales.