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LA MÉTAPHORE.

expression figurée, quoiqu’il contînt une comparaison empruntée à la transparence du ciel ou de l’eau[1].

Quelquefois le souvenir de la métaphore est si complètement oublié qu’on s’y trompe. Cicéron s’étonne que des paysans aient eu l’idée de donner le nom de perle (gemma) aux bourgeons des arbres : or, c’est l’inverse qui est la vérité, les perles ayant, par une imagination qui ne manque pas de grâce, reçu leur nom des bourgeons prêts à s’épanouir[2].

Quand la linguistique tournera vers le sens des mots une partie de l’attention qu’elle porte trop exclusivement sur la lettre, elle pourra créer pour les diverses langues un curieux et instructif relevé montrant le contingent de métaphores fourni par chaque classe de citoyens, par chaque corps de métier. Le tisserand a donné à la langue latine les mots qui veulent dire « commencer » : ordiri, exordium, primordia. Ordiri, c’était disposer les fils de la chaîne pour faire un tissu. Cicéron, qui sentait encore l’image, fait dire, non sans intention, à un de ses interlocuteurs : Pertexe, Antoni, quod exorsus es[3]. Plaute avait déjà dit de même :

Neque exordiri primum, unde occipias, habes,
Neque ad detexundam telam certos terminos.

  1. Mémoires de la Société de linguistique, V, 346.
  2. Nam gemmare vites, luxuriem esse in herbis, lætas esse segetes etiam rustici dicunt (De Or., III, 38). Lætus, que Cicéron considère comme une métaphore, est également le mot propre (« de grasses moissons »).
  3. Le vocable est probablement bien antérieur à la langue latine. On a chez Hésychius cette glose : Γερδιός· ὑφάντης.