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LA MÉTAPHORE.

voir paraître quelques traits de morale utilitaire. Penser, c’est compter (putare, reputare)[1]. L’estimation ou la pesée des monnaies prête son nom à toutes les sortes d’estime (æstimare, existimare, pendere). Délibérer, c’est encore peser (deliberare[2]). Ce qui peut s’acheter à bon marché est méprisable (vilis[3]) ; de la rareté vient le prix que nous attachons aux objets (carus, caritas).

Il est inutile de continuer… On voit de quelle nature sont ces renseignements. Cela ressemble aux dires de quelque paysan doué de bon sens et d’honnêteté, mais non exempt d’une certaine cautèle rustique. C’est quelque chose de moins que les proverbes, ceux-ci marquant déjà une expérience plus prolongée, une faculté de combinaison plus grande.

Voici encore une métaphore appartenant au même ordre d’idées.

Pour les vieux Romains toute dépense superflue était un manquement à la règle, une dérogation à la rectitude de la vie, ou, comme nous disons aujour-

  1. Putare est lui-même arrivé au sens de « calculer » par une métaphore. Putare rationes, « apurer des comptes ». Putare, purum facere, disent Varron et Festus. C’était l’expression consacrée pour l’émondage des arbres et des vignes : putare vitem, arbores. Le mot, en son sens propre, s’est conservé en vieux français : poder, pouer (« pouer et tailler la vigne », chez Olivier de Serres) ; poâ, « tailler », en patois de la Suisse romande. Ce poder, « nettoyer », a passé en allemand : butzen, putzen (den Baum, den Strauch, die Hecke putzen) ; puis on a dit : den Bart, die Haare putzen ; enfin, le mot a passé au sens de toilette et de parure (die Putzmacherin, « la modiste »).
  2. De libra, « la balance ».
  3. De la même racine qui a donné vēnum, « la vente ».