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ÉLARGISSEMENT DU SENS.

Les idées générales que l’humanité a acquises dans le cours des siècles n’auraient pu recevoir de nom sans cet élargissement du sens. Comment aurait-on pu désigner le temps et l’espace ? Le temps, c’était à l’origine « la température, la chaleur ». Le mot est de même origine que tepor[1]. Puis on a désigné de cette façon le temps (bon ou mauvais) en général. Enfin on est arrivé à l’idée abstraite de la durée.

L’espace, c’était la carrière où courent les chars (spatium, mot emprunté du grec στάδιον, dorien σπάδιον[2]. Pour parler des chevaux qui dévient de leur course on emploie le verbe exspatiari. Cicéron, voulant dire que l’éloquence a dévié, dit : Deflexit de spatio curriculoque majorum. Puis le mot a pris le sens général d’étendue et d’espace.


Le verbe est la partie du discours qui présente les plus nombreux exemples d’élargissement. Une fois que d’une façon ou d’une autre, pour désigner un acte, la langue a fait choix d’une expression, l’on ne tarde pas à oublier la circonstance — quelquefois indifférente ou fortuite — qui l’a fait ainsi dénommer.

  1. Le neutre tapas, « chaleur », existe en sanscrit. Le rapport de tempus et tepor est le même que celui de decus et decor, fulgur et fulgor. Il est resté quelque chose de l’idée de la température dans le verbe temperare.
  2. Voir Mémoires de la Société de linguistique, VI, p. 3. Au sujet de la substitution du t au d, cf. cotoneumκυδώνιον, citrusκέρδος.