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LES PRÉTENDUES TENDANCES DES MOTS.

« en congé pour cause de santé ». — Dire d’un homme qu’il fait un mensonge est chose grave ; nous aimons mieux parler de son imagination. C’est ce qu’exprimait d’abord le verbe mentiri, lequel est formé de mens comme partiri de pars, ou sortiri de sors. — L’allemand List, « ruse », a commencé par être un synonyme de Kunst, « savoir, habileté[1] ». On disait Gottes List, « la sagesse de Dieu ». — L’anglais silly, qui veut dire « sot », répond à l’anglo-saxon saelig, à l’allemand selig, et signifiait originairement « heureux, tranquille, inoffensif[2] ». On pourrait multiplier indéfiniment les exemples. Il n’y a pas là autre chose qu’un besoin de ménagement, une précaution pour ne pas choquer, — précaution sincère ou feinte, et qui ne sert pas longtemps, car l’auditeur va chercher la chose derrière le mot et ne tarde pas à les identifier.

La prétendue tendance péjorative a encore une autre cause. Il est dans la nature de la malice humaine de prendre plaisir à chercher un vice ou un défaut derrière une qualité. Nous avons en français l’adjectif prude, qui avait autrefois une belle et noble acception, puisqu’il est le féminin de preux. Mais l’esprit des conteurs (peut-être aussi quelque rancune contre des vertus trop hautaines) a fait dévier

  1. Du gothique leisan, « savoir ».
  2. Cf. l’allemand albern, « sot », qui correspond au vieux haut-allemand alawâr, « bon, amical ». De même, simple en français, einfältig en allemand.