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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

nom du vieillard est γέρων en grec, senex en latin : les deux termes coexistaient l’un à côté de l’autre dans une période antérieure, et nous avons en sanscrit, à côté de ǵaran, qui correspond exactement à γέρων, le mot sanas, « vieux », qui est de la famille de senex. Le grec a arrêté son choix, le latin a fait de même : mais ils ont choisi différemment. Cependant le grec dit encore ἕναι ἀρχαί (par opposition à νέαι) pour désigner les magistrats sortant de charge : il dit aussi ἕνοι καρποί pour désigner les fruits de l’an passé. La langue politique et la langue de l’agriculture ont donc exceptionnellement retenu le synonyme sorti de l’usage. D’autre part, le latin, pour désigner un homme usé par l’âge, dit æ-ger (pour ævi-ger), composé dont la seconde partie est la racine de γέρων[1]. La composition a sauvé ici le synonyme qui, partout ailleurs, a été sacrifié. Nous n’en voyons que plus clairement le rangement qui s’est fait dans les deux langues.

Le latin ayant exprimé l’idée d’entendre par la locution périphrastique audire, qui signifie proprement « recueillir dans son oreille »[2], l’ancien verbe cluo devenait dès lors inutile et devait disparaître. Mais ce qui prouve qu’en un temps plus reculé il a

  1. En sanscrit, gar, « s’user, vieillir ». Le participe ǵīrna se dit, par exemple, de vêtements usés. — La contraction du premier membre est la même que dans æ-tas (pour ævi-tas), æ-ternus (pour ævi-ternus).
  2. De aus, (grec οὖς) « l’oreille », et dio (cf. con-dio), « placer ». On peut rapprocher le synonyme aus-cultare.