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LES LOIS INTELLECTUELLES DU LANGAGE.

au sujet de la phrase. Il fallait donc que le passif lui-même fût imaginé sous la forme d’un acte.

C’est, en effet, ce que nos langues ont réalisé. Elles ont créé plus ou moins tardivement le passif en le présentant sous la forme d’un acte faisant retour sur le sujet. Pascitur a signifié « il se nourrit », avant de signifier « il est nourri ». Διδάσκομαι signifiait « je m’enseigne moi-même » avant de signifier « je suis enseigné ». À ce sujet les langues germaniques et slaves sont particulièrement instructives. Nous y trouvons les étapes successives de la métamorphose. En vieux norrois, their finna sik veut dire : « ils se trouvent [l’un l’autre] ». Il en est sorti une forme their finnask, « ils se trouvent » [c’est-à-dire ils sont, ils séjournent], et finalement « ils sont trouvés » [c’est-à-dire inveniuntur]. Pareille chose se présente en lithuanien et en slave. C’est même la famille letto-slave qui, par la transparence de ses formes, a mis d’abord sur la voie de l’origine du passif.

Nous avons donc ici un nouvel exemple de l’intention qui préside aux évolutions du langage, en même temps que de la simplicité presque enfantine par laquelle cette intention arrive à ses fins. Le passif semblait directement opposé à l’idée exprimée par nos verbes : et cependant, en des idiomes éloignés l’un de l’autre, par un moyen identique, le passif a trouvé son expression.